Paru en 2023 au Japon et composé actuellement de 3 tomes (toujours en cours), Our Love Language (ou Love in the Palm of His Hand) est désormais disponible en France aux éditions Akata.
Droit d’auteur : ©Rinteku/SQUARE ENIX

Quand les gestes remplacent les mots
Au Japon, il n’est pas rare d’assister à des scènes où les passagers se laissent aller au sommeil, bercés par le roulis régulier des wagons. Fujinaga en fait l’expérience un jour ordinaire. Alors qu’il s’apprête à se lever pour descendre à son arrêt, il remarque qu’un jeune homme s’est assoupi contre son épaule.
Il tente d’abord de l’interpeller à voix basse, pensant qu’un simple mot suffira à le réveiller. Mais le dormeur reste immobile, profondément plongé dans ses songes. Finalement, Fujinaga se lève d’un geste un peu brusque, ce qui a pour effet de tirer son voisin de son sommeil. Les yeux encore voilés de fatigue, celui-ci joint ses mains dans un geste inattendu, semblable à une prière, comme un namasté silencieux. Fujinaga reste surpris. Peut-être ne parle-t-il pas japonais et cherche-t-il simplement à s’exprimer autrement ?
Ce qu’il ignore encore, c’est que le hasard de ce trajet vient de le mettre sur la route d’un camarade d’université. Quelques jours plus tard, lorsqu’il reconnaît le jeune homme dans les couloirs du campus, il n’hésite pas une seconde à l’aborder. Cette fois, il veut saisir l’occasion. Mais bien vite, il sent que quelque chose ne va pas. Son interlocuteur ne répond pas, ses lèvres remuent à peine, ses yeux, eux, semblent lire chaque mouvement de bouche avec une attention particulière. Ses mains, légères, esquissent des gestes qui accompagnent ce silence étrange.
Alors, Fujinaga ralentit, pèse ses mots, ajuste son ton. La conversation prend une forme différente, faite de regards, de pauses et d’une patience nouvelle. Peu à peu, un fragile échange s’installe. Et c’est ainsi que Fujinaga découvre la vérité : ce garçon n’est pas comme les autres. Il est sourd oraliste. Il entend difficilement, s’aide de ses mains pour s’exprimer, et porte un appareil auditif qui l’accompagne au quotidien.
Un fil invisible
Fujinaga peine cependant à comprendre. Si Keito est sourd, comment parvient-il malgré tout à échanger avec lui ? Cette question le trouble, mais la réponse se révèle finalement simple : Keito lit sur les lèvres. Pour que la conversation existe, il doit impérativement voir le visage de son interlocuteur, capter chaque mouvement, chaque souffle.
Cette révélation éclaire soudain la scène du train. Le geste de « namasté » n’était pas une bizarrerie, mais un simple merci, un remerciement silencieux offert à sa manière. En y repensant, Fujinaga esquisse un sourire. En face de lui, Keito, amusé, éclate de rire. Ses mains ne cessent de bouger, comme si les gestes faisaient partie intégrante de sa respiration. Ce langage silencieux fascine Fujinaga, qui ne peut détourner les yeux.
Et puis, il se produit quelque chose d’inattendu. Sans même s’en apercevoir, simplement en suivant les lèvres et les gestes de Keito, Fujinaga devine, ne serait-ce qu’un instant, ce qu’il dit. Une supposition, mais une supposition juste, comme si une évidence s’imposait entre eux, comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Keito le remarque aussitôt et ses yeux s’illuminent. Il se sent compris, compris par cet inconnu qu’il vient tout juste de rencontrer.
Le cœur léger, il ose alors proposer de se revoir. À cet instant, Fujinaga a la sensation étrange qu’un fil invisible vient de se tendre entre eux. Un fil fragile, mais lumineux. Comme si, au-delà des mots, une nouvelle langue venait de naître.


Les gestes du cœur
Et se revoir… ils vont le faire, encore et encore. À chaque rencontre, Fujinaga s’applique à apprendre de nouveaux gestes. Il est fasciné par leur richesse, par le nombre infini de nuances possibles. Comment est-il seulement possible de retenir tout cela ? Pourtant, chaque mot silencieux, chaque mouvement des mains de Keito devient une leçon précieuse, presque comme un cours de théâtre où le corps et le regard racontent l’histoire mieux que n’importe quelle parole.
Un jour, Keito lui demande de lui raconter une histoire. Fujinaga s’exécute avec tout son cœur. Ses mains s’agitent, parfois maladroites, mais toujours sincères. Son regard accompagne chaque mouvement, chaque émotion qu’il veut transmettre. Et pour la première fois, Keito entend autrement : non pas avec ses oreilles, mais avec ses yeux. Keito est émerveillé. Avec seulement des gestes et un regard lumineux, Fujinaga a su faire passer des émotions claires et puissantes. Pour Keito, c’est un véritable talent.
Un talent ? Fujinaga doute. Ce n’est pas ce qu’on lui répète lorsqu’il se tient sur une vraie scène. Mais les mots silencieux de Keito résonnent en lui, profondément. Ils deviennent un encouragement inattendu, une flamme nouvelle qui chasse ses hésitations et ravive son désir de jouer. Grâce à cette relation, Fujinaga comprend que le théâtre n’est pas seulement une question de voix ou de mots : c’est une question de présence, d’intention, de gestes, de regards… une question d’émotions transmises, et reçues.
Peu à peu, il retrouve confiance en lui. Et, avec elle, le goût de croire de nouveau en ses rêves, en sa vocation d’acteur, et dans le pouvoir unique d’une communication qui va bien au-delà des mots. Mais ce n’est pas tout : sa relation avec Keito change aussi sa vie. Chaque rencontre, chaque geste, chaque regard crée un lien particulier entre eux. Sans mots, une affection douce et silencieuse grandit, et un simple sourire ou geste suffit à faire battre leur cœur un peu plus fort.