Paru en 2021 au Japon et composé actuellement de 2 tomes, The Song about Green aussi connu sous le nom de Midori no Uta – Shuushuu Gunfuu, arrive en France grâce aux éditions Casterman.
Droit d’auteur : © 2021 Gao Yan 2022 / KADOKAWA CORPORATION
Un souffle de liberté
Lu est une jeune fille timide, rêveuse… et toujours un peu tête en l’air. Ce matin-là, alors que le cours d’anglais est sur le point de commencer, elle réalise avec une pointe de panique qu’elle a oublié son devoir. La veille au soir, son esprit était ailleurs, perdu dans les pages de son roman favori, totalement absorbée par une histoire qui l’a emportée loin du monde réel.
Sa maison n’est heureusement pas très loin, à moins de quinze minutes. Si elle se dépêche, peut-être pourra-t-elle éviter de se justifier auprès de son professeur. Car Lu n’aime pas déranger les autres. Elle préfère toujours se compliquer la vie plutôt que de créer un petit problème pour quelqu’un d’autre.
Alors elle court. Ses jambes tremblent, son souffle se fait court, chaque pas lui semble plus lourd que le précédent. Venir à vélo aurait été plus facile, plus rapide… mais cela aurait demandé un courage qu’elle n’a pas. Un courage qui lui manque toujours, comme s’il se dérobait à chaque fois qu’elle en aurait besoin. Heureusement, un vent frais se lève, caressant son visage, comme une caresse fugace qui apaise sa panique et lui donne un instant de répit.
Dans cet instant, Lu cède à une envie de rébellion. Elle s’arrête un court instant, s’allonge sur l’herbe au bord de la mer, laisse la musique l’emporter, et ferme les yeux. Elle voudrait tout oublier : le devoir, les obligations, les minutes qui passent inexorablement. Juste respirer, écouter le vent, sentir le sable, se laisser emporter par le bleu infini de l’océan… être ailleurs, tout simplement.
L’instant suspendu
Mais la réalité la rattrape. Les bruits de l’environnement, les cris lointains, les pas sur le sable… tout la ramène à elle-même. Lorsqu’elle lève les yeux, il est là, sur les rochers. Un garçon, de dos, immobile. Sa posture et la solitude qui s’en dégage frappent Lu : il semble triste, presque désespéré. Son émotion la touche profondément, comme un écho de sa propre sensibilité.
Pourtant elle n’a ni le courage ni l’audace d’engager la conversation. Son réflexe est simple et immédiat : prendre une photo. Le moment est fragile, presque irréel. La musique s’éteint, celle de Kaze Wo Atsumete, et il est temps pour elle de partir. Elle reprend son chemin, sans réellement se soucier du jeune homme. Son professeur la reprend pour avoir séché le cours, mais ce n’est rien comparé à l’impression que ce garçon a laissée dans son esprit.
Le lendemain, il a disparu. Lu se demande alors ce qu’elle aurait pu faire. Peut-on agir face à quelqu’un que l’on ne connaît pas mais dont la détresse résonne en nous ? Que pouvait-elle faire, sinon garder ce souvenir fragile dans son esprit et avancer, avec cette image qui restera gravée à jamais dans sa mémoire ?



Un sourire au bord du monde
Le temps passe, Lu grandit, mais certaines blessures restent gravées. Aujourd’hui, elle est devenue une femme et prend son indépendance, emménageant seule pour poursuivre ses études. Ce qu’elle voulait, c’était fuir la mer… à tout prix. Pourtant, le visage de ce garçon, bien que de dos, hante encore ses pensées.
Heureusement, Taipei a ses points positifs. Si Lu aime profondément la lecture, elle nourrit également une passion pour la musique. Elle se rend à des concerts, quitte à sécher des cours, trouvant dans ces escapades un moyen d’échapper à ses souvenirs obsédants et de s’évader. Depuis ce jour au bord de la mer, elle rêve sans cesse de ce garçon disparu, mais elle n’en parle à personne, allant jusqu’à mentir à ses amis pour dissimuler cette obsession.
Ce soir-là, elle assiste à un concert. Mais l’expérience lui laisse un goût amer. Ce n’est plus comme dans ses souvenirs. La foule la bouscule, elle se sent étouffer et finit par s’éclipser. Pour couronner le tout, un message : son œuvre n’a pas été primée. L’impression que le destin s’acharne sur elle la submerge. Les cafés sont fermés, nul endroit pour se réfugier.
Elle s’assoit alors, résignée, pensant être condamnée à retourner dans sa ville natale, près de la mer. Et c’est à ce moment-là qu’un jeune homme s’approche et lui propose de déguster une tarte au citron. Elle goûte, reprend le sourire, et pour la première fois depuis longtemps, une lueur d’espoir s’allume devant cet inconnu… un inconnu qui pourrait bien changer toute sa vie.
Quand les notes rapprochent les cœurs
Et c’est précisément ce que Nanjun va faire. Bien qu’un peu plus âgé qu’elle, il dégage une maturité rare, presque rassurante. Ses gestes sont mesurés, sa voix douce mais ferme, et surtout, il prend le temps de l’écouter. Pour la première fois depuis des semaines Lu se sent profondément comprise. Une sensation qu’elle n’avait plus connue depuis longtemps : la chaleur de la présence de quelqu’un qui vous voit vraiment, sans jugement, sans pression.
Leurs conversations deviennent rapidement des moments précieux. Ils parlent de tout et de rien, mais toujours avec cette intensité qui rend chaque mot important. Lectures, passions littéraires, musiques… Nanjun partage avec elle son univers. Musicien talentueux, il a son propre groupe et propose à Lu d’assister à un vrai concert, promettant de lui faire ressentir des émotions qu’elle n’a jamais connues. En secret, Lu ne rêve que de ce jour : revivre ces frissons, sentir son cœur battre à l’unisson de la musique et, surtout, revoir Nanjun.
Lorsque le concert arrive, tout change. La foule, la lumière, le rythme, tout semble amplifier son émotion. Elle le repère immédiatement mais Nanjun, bien qu’il la cherche du regard, ne la retrouve pas. Elle disparaît, presque éthérée, comme si elle s’était évaporée dans l’air vibrant du concert. Ce n’est pas la musique qui la fait fuir… Au contraire, elle la transporte, la touche profondément. La mélodie possède un pouvoir étrange, presque magique, qui la fait frissonner mais ne parvient pas à lui redonner son sourire.
Après le concert, Nanjun lui propose de s’éloigner, loin du tumulte et des corps pressés. Ils respirent, échangent des confidences dans le silence rassurant de la nuit. Une amitié se tisse, solide, sincère et réconfortante. Mais quelque part, Lu sent que ce lien dépasse l’amitié. À travers ces passions communes, à travers ces instants volés au temps, ils se rapprochent lentement, naturellement. Chaque rire, chaque sourire, chaque mot échangé renforce ce lien délicat, fragile et précieux. Et Lu, pour la première fois depuis longtemps, se surprend à espérer que cette rencontre n’est pas seulement une parenthèse dans sa vie, mais le début de quelque chose d’inattendu, de profond et de bouleversant.
Tome 2
La soirée des non-dits
Hosono débarque à Taiwan ! La nouvelle suffit à rendre Lu folle de joie, mais la perspective que Nanjun l’accompagne la fait frissonner d’excitation et d’appréhension à la fois. Les jours qui précèdent l’événement deviennent une torture : elle les compte, elle anticipe, elle stresse. Elle réfléchit sans cesse à sa tenue, à la coiffure, peut-être même un peu de maquillage…
Heureusement, Nanjun remarque chaque détail : le petit nœud dans ses cheveux, les choix subtils qu’elle fait pour se sentir belle et sûre d’elle. Ses compliments, discrets mais sincères, réconfortent Lu et la font sourire malgré sa timidité. Elle aimerait lui avouer que tout cela, tous ces préparatifs, c’est pour lui… mais le courage lui manque.
Arrivée au concert, Lu se sent submergée. La foule, la musique, l’énergie qui l’entoure… tout la déstabilise. Pourtant, en levant les yeux vers Nanjun, elle retrouve confiance. Dans cette mer de visages, il est son ancre, sa lueur rassurante. Le concert commence, et Lu se laisse emporter par la musique. Mais à un instant précis, elle tourne la tête et croise le regard de Nanjun. Ce moment, si court, devient le plus important de la soirée, celui qu’elle gardera précieusement en mémoire.
En sortant du concert, un seul désir la hante : lui prendre la main, lui dire tout ce qu’elle ressent. Mais le stress et la timidité l’en empêchent. Les mots restent coincés dans sa gorge. Nanjun reste silencieux, et bientôt, le train les sépare. Le lendemain, la douleur de l’absence se fait sentir, accompagnée d’acouphènes émotionnels : son premier réflexe est de lui envoyer un message… sans réponse. Et elle se demande, encore et encore : si seulement elle avait osé parler ce soir-là, aurait-elle pu changer quelque chose ?


